Témoignage de Sœur Marie (87 ans)

Vivre l’obéissance dans la vie religieuse :

un seul appel… mais sept carrières !

« Ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné sur le moment : car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint. »

Mc 13, 11

Vivre l’obéissance dans la confiance, en acceptant de ne pas tout comprendre, et goûter une vraie joie.

Quand on me demande ce que j’ai fait dans ma vie, j’aime bien parler en plaisantant de mes diverses « carrières » !

Au terme des deux années de noviciat à Sucy-en-Brie, je fis profession en avril. Fin octobre, je suis envoyée à Agen, pour être institutrice dans une petite école qui avait été confiée à la Congrégation. Mais la rentrée était déjà faite, et une autre Sœur avait été chargée des classes. Les parents d’élèves signèrent une pétition pour que la maîtresse qui avait commencé les cours continue. Malgré tout, j’ai pris les cours après la Toussaint, sans trop de peine, et devins directrice de cette petite école du Sacré-Cœur où je ne restais que quatre ans, juste le temps de mener les filles au certificat d’études. Cette école était située à l’autre bout d’Agen : avec une autre Sœur, nous partions le matin et ne rentrions que le soir, à bicyclette, avec l’habit bien sûr ! C’était une situation un peu particulière, car les autres Religieuses travaillaient toutes à l’intérieur des murs des communautés dans les établissements de la Congrégation. Au moment des adieux, les filles m’ont dit : « On vous aime bien, vous savez. Pourtant, on ne vous voulait pas ! » Et quand je leur ai dit que je l’avais su, elles ont été étonnées : « Vous le saviez, et vous n’avez jamais rien dit ! » Voilà ma première mission.

Mon deuxième « job » fut d’enseigner les mathématiques et les sciences naturelles en classes de Sixième et Cinquième à Sainte-Foy d’Agen, établissement qui, à cette époque, formait les jeunes du jardin d’enfant jusqu’à la classe de philosophie. Je faisais en outre de la catéchèse. Nous étions une grande communauté, d’au moins trente Sœurs. Cette mission me fut confiée une dizaine d’année, puis je reçus une obédience pour Sucy-en-Brie où j’enseignai les mêmes matières dans les mêmes classes à Petit-Val. Je m’occupais également des Enfants de Marie, et j’aimais préparer célébrations et processions pour permettre aux élèves d’entrer davantage dans l’intimité avec Marie. Nous emmenions les filles en promenade, une trentaine d’élèves, en rang, jusqu’à un pré ou un bois pour qu’elles trouvent un lieu pour s’amuser. Je dormais alors dans un dortoir pour surveiller les internes : les Soeurs se levaient très tôt, à cinq heures moins dix. De cinq heures trente à six heures trente, nous prenions le temps de l’oraison, puis nous chantions l’office du matin et nous participions à la messe. J’ai été aussi surveillante générale de l’établissement, ce n’était pas une sinécure, mais je dois dire que j’ai eu de la chance : si je n’étais pas à l’aise avec les plus petits, je me sentais bien avec les adolescentes.

Prendre conscience que Dieu donne véritablement la grâce d’accomplir ce qui nous est demandé dans l’obéissance

En 1965, eut lieu un Chapitre Général auquel je ne participais pas et qui devait élire la Supérieure Générale et ses assistantes, qui font office de conseillères. Alors que je ne m’y attendais absolument pas, j’ai été élue 4e assistante générale ! Et par la suite nommée supérieure de la communauté de Petit-Val, c’est-à-dire d’une bonne trentaine de Sœurs, pour la plupart plus âgées que moi… Ce fut pour moi une rude épreuve. Parmi les tâches imposées à une Supérieure, figuraient les petites conférences spirituelles données aux réunions de communauté : qu’allais-je bien pouvoir dire de sensé à mes Sœurs ? Le moment venu, pour garder courage, je fixais les yeux sur une Sœur au bon visage qui opinait de la tête, comme acquiescant à mes propos.

Après un mandat d’assistante, je fus nommée Provinciale (c’est-à-dire responsable des Sœurs en communauté en France), et à ce titre je visitais pendant sept années les communautés de Vico et d’Ajaccio (en Corse), de Lons-le-Saunier et d’Arbois (dans l’Est), de Sucy-en-Brie, de Yerres et de Chelles en région parisienne, d’Auch, d’Agen et d’Astafford dans le Sud-Ouest. Les Sœurs que je rencontrais faisaient mon admiration pour la vie qu’elles avaient, leur amour de Dieu et de la Vierge Marie, leur respect pour le vœu d’obéissance. Je me souviens encore de la façon dont deux Sœurs, toutes deux des maîtresses femmes, plus âgées que moi et qui avaient fait beaucoup de choses dans leur vie, ont accepté leur obédience lorsque je leur ai annoncé qu’elles allaient quitter leur mission pour une autre. Elles ont fait preuve d’un dévouement extraordinaire ! À cette occasion, j’ai senti toute la force de leur vie intérieure qui ressortait à ce moment-là. Quand on vit avec les personnes, on a tendance à ne voir que leurs défauts, mais derrière ces défauts, il y a toute la richesse d’une vie intérieure… Ces deux dernières « carrières » m’ont beaucoup appris sur le vœu d’obéissance, puisque non seulement j’obéissais toujours à la Supérieure Générale, mais en plus, je demandais obéissance à mes Sœurs.

Ma cinquième « carrière » commence au Chapitre général de 1972 : je fus nommée assistante générale pour cinq ans, mandat qui a été renouvelé pour cinq autres années. C’était à un moment difficile : on était après mai 68, tout était en l’air dans les communautés comme ailleurs. Mais ce fut une époque très riche : tout le monde cherchait comment faire mieux. En 1966, l’Administration Générale avait déménagé de Sucy à Rome, et cela nous permit de participer à des réunions avec les Administrations générales de diverses congrégations afin de nous entraider et de partager nos expériences. Ma fonction auprès de la Supérieure Générale me donna aussi l’occasion de découvrir le monde : visites auprès des Sœurs au Japon, États-Unis, Corée (on préparait la fondation), Espagne, Togo, Colombie, Chili…

Au terme de ces deux mandats, la nouvelle Mère Générale me demanda si je voulais rester comme secrétaire générale et m’occuper des archives. J’acceptai. C’était un autre genre de vie, moins exotique bien sûr. En 2002 : fin de ma « carrière » internationale !

Quand j’aspirais au repos, on me nomme Supérieure !

Mon septième « job », je le poursuis aujourd’hui, comme supérieure d’une communauté insérée dans une maison de retraite. Notre mission est simple : nous vivons au milieu des résidents et du personnel, et nous essayons de faire que notre présence soit apaisante, par un sourire, des petites attentions, de la disponibilité…

J’ai vécu ma vie simplement, j’ai aimé le Seigneur simplement, j’ai fait de mon mieux pour faire passer quelque chose à nos élèves, pour servir mes Sœurs. Je n’en reviens pas d’avoir « fait » tout cela, mais dans le fond c’est un même appel qui m’a permis de passer d’un « job » à l’autre, avec les hauts et les bas de la vie, parce que je les ai vécus, comme tout le monde… Rien n’est tout plat, tout calme, mais avec la Vierge Marie, tout est possible.

Sœur Marie, 87 ans